Être grande et grosse. Je ne sais pas si vous la connaissez, cette expression qui devait être positive au temps du Survenant pour décrire une jeune fille ou une femme, mais ce n’était déjà plus le cas lorsque nous étions enfant, ma chère sœur et moi. J’y pense aussi souvent à cette expression d’un autre temps, en me disant que l’Amoureux serait mieux équipé avec une telle compagne, qui saurait mieux l’accompagner que moi dans ses divers travaux agricoles. Mais bon, comme il me le répète à l’occasion, c’est un grand garçon responsable de ses choix. Fin de la parenthèse.
Donc, quand nous étions petites filles, mon aînée n’avait pas le même gabarit de mini que moi, toujours au premier rang sur les photos de classes et première dans la file pour la petite communion aux côtés de mon pendant-mini masculin de l’époque, V. S. Elle était dans les plus grandes et un peu enrobée. Sans compter que notre chère mère, loin d’être une marâtre par ailleurs, lui coupait les cheveux très courts, munie d’un petit bol vert délavé qu’elle lui plaçait sur la tête. Je n’ai jamais été témoin de cette opération qui me surprend un peu, quand même, mais ma sœur jure que c’est vrai et s’en rappelle comme si c’était hier. Y a de quoi, j’en conviens. Elle n’était donc pas nécessairement à son avantage comme on dit et, même dans la famille, on parlait d’elle comme une grande et grosse. Ce qui était loin de s’arranger dans la cour de notre école primaire. Encore pire : il y a quelque temps, elle m’a confié que moi en plus, j’avais honte d’elle à cette époque. J’ai nié ce comportement peu reluisant de fillette sans cœur. Mais bon, il y a peut-être anguille sous roche.
Nous avions aussi une voisine, du même âge que ma sœur, encore plus grande et grosse qu’elle. Grand talent (vous la connaissez, celle-là?) en plus, ce qui déplaisait à mon cher père au plus haut point. Elles auraient pu devenir amies, me direz-vous, et faire front commun ensemble. Eh non, c’est sans connaître Miss H. qui, au contraire, en a fait aussi baver à ma sœur. En fait, elle l’a toujours ignorée, ne voulait pas être son amie, bref, elles étaient loin d’être inséparables. Ça aussi, ma sœur s’en souvient encore comme si c’était hier. Mais l’histoire finit bien et la vengeance est douce au cœur de la sauvage. Aujourd’hui, Miss H. est toujours, sinon davantage, grand talent ET grande et grosse (ça ne lui enlève rien, remarquez, elle est sans doute une femme extraordinaire), et ma chère sœur d’une assurance tranquille et plus en forme que jamais. Tiens-toi, prends-ça dans les dents.
Quand ta sœur prend la peine de nommer une émotion douloureuse que tu lui as fait vivre il y a quarante ans, ne balaie pas tout ça du revers de la main. Contente-toi plutôt de lui demander pardon.