Ma journée, qui s’annonçait déjà hautement émotive, s’est amorcée ce matin par la découverte du cadavre de Vince IV, mon splendide betta bleu (qui fittait pourtant si bien avec ma déco). Rien qu’à le voir flotter si bizarrement dans son pot Mason et bien que je n’aie pas fermé l’œil de la nuit, j’ai tout de suite deviné qu’il me faudrait jouer au croque-mort, l’Amoureux ayant réintégré sa chaumière la veille. Mon premier expresso à la main, cette perspective était loin de me réjouir. D’autant plus qu’heureusement pour moi, lors des décès précédents, je n’étais pas seule, le proche présent (ma chère sœur lorsque nous étions adolescentes, Fiston ou l’Amoureux par la suite) ayant d’ailleurs moins de répugnance que moi à accomplir la sinistre besogne.
Comme son nom l’indique Vince était donc mon quatrième betta. Que voulez-vous, ça ne toffe pas bien longtemps, ces bestioles-là. Du moins chez moi.
Nous avons accueilli notre tout premier Vince alors que Fiston était aux portes de l’école primaire. C’est d’ailleurs lui qui l’avait baptisé de façon si poétique. Remarquez que c’était nettement mieux que Pet-Sauce (il devait avoir eu une prémonition), le prénom qu’il voulait donner à la chatte si malpropre que nous avons adoptée à la même époque. Or, malheureusement pour notre poisson, il appert que nous ayons oublié de mentionner à ma chère mère d’en prendre un peu soin (en même temps que de la cristi de chatte qui voulait la mordre à chacune de ses visites), lors de longues vacances estivales familiales où nous avions déserté notre bungalow pour un mois. Il va sans dire qu’à notre retour, Vince, qui avait été complètement ignoré dans son bocal tout ce temps, avait toute une allure. L’Ex et moi avons alors constaté que Fiston avait le cœur solide : il n’était pas ému outre mesure et s’était plutôt montré curieux face à la transformation de sa bestiole. Quant à Fifille, aux portes de l’école secondaire, elle n’en avait pas grand-chose à faire.
Bien des années ont passé avant que je n’accueille Vince II. C’était plus d’un an après mon déménagement, à l’époque où Fiston et moi cohabitions à temps partiel. Je m’étais dit qu’un brin de zoothérapie ne pourrait pas nous faire de tort. Je ne m’étais pas trompée et Vince II a quand même vécu plusieurs mois de grand bonheur avec nous jusqu’à ce que l’un de ses yeux ne devienne énorme d’un seul coup. Hum. Il me semble que j’ai cherché à l’époque le problème qui aurait pu être sous-jacent à cette soudaine malformation, mais sans grand succès. La chose a fini par se résorber toute seule et j’ai cru l’animal tiré d’affaire. Eh non, après une dernière danse (je vous jure, on aurait dit un poisson au bout d’un hameçon, que de cabrioles), Vince II s’est éteint à son tour.
Je devais avoir prévu le coup, car tout à côté du bocal où s’était ébattu Vince II, nageait déjà Vince III (dans un autre récipient, bien sûr). Peut-être s’était-il trop ennuyé à la suite de la perte de son compagnon? On ne le saura jamais, mais il connut le même sort (sans gros œil et sans dernière danse) quelques jours plus tard. Pour Fiston, il était alors devenu très clair que c’était moi la responsable de cette hécatombe. Il avait d’ailleurs un peu raison, puisque la conseillère du pet-shop où je m’obstinais à choisir mes bettas et à laquelle j’ai raconté mes déboires, le sac renfermant Vince IV à la main, m’a appris qu’il fallait les nourrir très peu et, surtout ne jamais, jamais, jamais laver leur habitacle avec du savon. J’avoue que cette confidence soudaine a suscité deux sentiments chez moi. Une grande culpabilité, bien sûr, mais aussi une grande perplexité : elle aurait pu le me dire avant, il me semble, puisque c’était toujours elle qui m’avait conseillé justement.
Bref, je ne sais pas de quoi est mort Vince IV pendant la nuit, mais ce n’est certainement ni d’un surplus de nourriture ni d’une intoxication au savon. J’aime bien penser que c’est de sa belle mort, puisque des quatre Vince qui sont passés sous mon toi, c’est celui qui connu la meilleure longévité.
Quand tu décides d’accueillir un betta chez toi, prends-en grand soin mais ne t’attache pas trop. Ça te fera nettement moins de peine quand tu devras flusher son cadavre au petit matin.