L’élixir et moi

J’en ai peut-être déjà parlé, mais quand la saloperie est arrivée dans ma vie, elle l’a fait de façon fracassante. L’heure était grave. Et moi, qui me tiens habituellement le plus loin possible des médecins et des médicaments, je n’ai pas trop eu le choix de laisser de côté mes grands principes de traitements les plus naturels possibles. Il fallait agir, et vite. Deux choix de médications biologiques mais assez terrorisantes dans mon cas s’offraient à moi : l’une par injections, que je pouvais m’administrer toute seule de façon régulière, et la seconde, par perfusions réalisées plus sporadiquement à l’hôpital. Par souci d’indépendance, j’ai opté pour la première. Et l’aventure des piqûres à toutes les deux semaines, puis à toutes les semaines, a commencé.

Au départ, trop effrayée par la seringue, j’ai opté pour la formule de type « épipen », plus sympathique à mes yeux de novices. Erreur. Car si l’injection est plus rapide, bien sûr, le choc est aussi plus grand et après quelques mois de ce traitement (qui me laissait avec de belles grosses enflures sur les cuisses), j’avais tellement peur de la douleur que j’hésitais de longues minutes, le dard à la main. Hop, je décide donc de passer à la seringue, puisqu’il est possible de mieux contrôler la vitesse de l’injection et la douleur qui s’en suit. Mais j’ai bien trop peur pour me risquer à me piquer moi-même et pas question que je confie cette délicate tâche à l’Amoureux qui a de l’expérience en la matière, mais avec des veaux… Je me retourne donc vers la compagnie pharmaceutique qui offre, gracieusement, les services d’infirmières à ses clients. Après un ou deux rendez-vous déplacés par une pas fiable qu’ils m’ont assignée, je me donne un grand coup de pied, regarde une vidéo sur le web, et je procède à l’injection moi-même, toute seule comme une grande. Quelques années plus tard, je poursuis toujours cette activité hebdomadaire un peu pénible.

On s’habitue vraiment à tout. Au début, j’y pensais plusieurs jours à l’avance, aux injections. Et ça me pourrissait la vie. Jusqu’à un grand moment de lucidité où je me suis dit que, puisque ça prenait quelques minutes à faire, ça allait aussi prendre les mêmes quelques minutes dans ma vie. Et aujourd’hui, 4 ans plus tard, il arrive que je l’oublie presque. Impressionnant.

Mais tout ce chemin vers une certaine « acceptation » du traitement a été parsemé d’une série d’embûches (enflures, éruptions, boutons) et de grands moments de détresse. L’Amoureux pourrait en témoigner abondamment.

Une anecdote plutôt cocasse mérite par contre d’être soulignée. Me voilà donc, un an et demi après le fameux diagnostic, à partir en Floride avec ma chère sœur bilingue et ma cristi de seringue. Même si j’ai une lettre (bilingue elle aussi) en main pour justifier sa présence dans mes bagages, je suis terrorisée de franchir les contrôles de sécurité avec ça. Je tiens presque la main de ma sœur, heureusement avertie à l’avance de mes émois. Eh bien, niet, rien, nada. Il y a sans doute plus de monde que je pensais qui voyagent avec de tels trucs dans leur sacoche. Mais l’histoire de ma première piqûre en vacances ne s’arrête pas là. Chez moi, j’ai mon petit rituel : avant l’injection, j’anesthésie un peu la région qui sera attaquée avec un ice-pack, toujours le même d’ailleurs. Or, je n’ai pas pensé à l’emporter, lui, à Pompano. J’opte donc pour l’un de ses acolytes dit de voyage et hop, sur le bedon. Mal m’en pris. Il était sans doute vraiment trop frette parce que deux ans et demi plus tard, j’ai toujours l’empreinte de ce ice-pack tatoué sur le corps. J’en conviens, ça ne paraît presque plus. Mais sur le coup, c’était vraiment d’un chic, cette grosse tache assez rouge merci, quand je portais mes deux bikinis (une presque première dans ma vie) achetés pour l’occasion. Pouet pouet pouet.

Quand tu penses que tu n’arriveras jamais à t’habituer à quelque chose de pénible qui te tombes dessus, tu te trompes. Le temps (et le psy) fera son travail en sous-main et, peu à peu, ce qui te terrorisait tant sera devenu presque banal.