Le point de la colère

Comme cette expression me parle. La révélation a été fulgurante et ne m’a pas quittée depuis.

Vivre, la peur au ventre : la grande débâcle

Allez, je me lance. Je vais patauger, et vous avec moi.

Plus d’un an plus tard, je peux commencer à l’écrire. À en parler, de cette saloperie (pardon pardon) qui s’est invitée dans ma vie. Vivre, la peur au ventre, il faut quand même le faire. C’est une chose de basculer, c’en est une autre de se relever. La route est longue et les faux pas sont nombreux.

J’ai parfois la confiance et le courage chancelants.

Colite: quel mot affreux. J’y vois une parenté avec la colère. Tiens tiens. Et « ulcérer » signifie aussi « causer une profonde blessure à l’amour-propre de quelqu’un, à sa sensibilité ». Tu parles. Enfin, dans le terme « inflammation », il y a bien sûr les flammes et le feu. C’est quand même assez intense, comme atteinte. Colère, profonde blessure, combustion : je reconnais tout ça. Et ça frappe fort.

Au départ, le diagnostic ne m’a pas trop effrayée. Il faut dire que j’étais toujours sous sédatif et qu’il venait nommer la source de souffrances endurées depuis des mois. Un aboutissement en quelque sorte. Presque un soulagement. Il faut dire aussi que je ne connaissais pas vraiment la maladie, ses implications et surtout les ravages qu’elle ferait dans mes états d’âme, déjà assez chaotiques (merci). J’ai compris très vite par contre que c’est au deuil de ma santé, et encore davantage de mon insouciance, que j’étais conviée. Et ça, c’est tout un contrat. Il faut dire aussi que j’en avais déjà bavé beaucoup au cours des années précédentes en raison d’une séparation houleuse, mais surtout des années de grande souffrance qui l’ont précédée. Bien honnêtement, je me suis dit que j’en avais eu pourtant assez.

J’avais le ventre en feu. Mon corps a abdiqué. Il avait tout donné. Terrassée, c’est le mot. Le bon.

Quand j’y repense, une fois prise en charge et traitée, mon état s’est amélioré rapidement. Vie normale dans trois semaines, personne ne le saura, aucune inquiétude. À bien y repenser aussi, tous les mots des médecins étaient encourageants. Mais de mon côté, quelque chose s’était brisé. J’étais choquée, comme dans sous le choc, littéralement. Par la suite, post-traumatisée (oui oui, c’est la psy qui l’a dit). Et, toujours hospitalisée, j’aurais bien eu besoin d’un autre type de réconfort : psy, bénévole compatissant, curé. Quelqu’un qui sache comment endiguer ma détresse quoi. Mais bon, il n’y a rien de parfait et à l’hôpital, on a bien traité mon corps. Ce qui n’est tout de même pas rien. Le reste a dû attendre.

Après l’hospitalisation, la convalescence et la vie qui se poursuit

Maigre à faire peur (je n’aurais jamais cru qu’un corps pouvait se dégrader aussi vite), je suis entrée en action rapidement au tout début de ma convalescence. J’ai repris mes activités d’avant (pilates, course, yoga) et je me suis documentée sur tout ce qui pourrait me faire du bien dans les circonstances : alimentation anti-inflammatoire, gestion du stress, bonheur, méditation, mantras, respiration. J’ai tout de suite su et dit que je ne voulais pas être traitée comme une petite chose fragile. Car c’est comme ça que je me sentais. Fragilisée.

Malgré tous ces efforts, à rebours, je m’explique mieux pourquoi la digue a cédé par la suite à plusieurs reprises, laissant l’angoisse, la vraie, prendre toute la place. Mais le temps s’écoule, et c’est sans doute vrai que l’on peut s’habituer à tout. Cependant, la colite, je n’arrive pas encore à l’accueillir. Encore moins à l’accepter. Même très bien contrôlée, elle ne se laisse pas oublier.

Les peurs

Avec la maladie, sont venues, les peurs, de multiples peurs. Car dans un corps, il s’en passe des choses. Et désormais, chaque sensation est suspecte. La galère.

Peur initiale d’abord que la saloperie ne revienne malgré l’imposante pharmacopée (tenace, celle-là)

Peur de souffrir d’effets secondaires des médicaments, dont la grande frayeur de perdre mes cheveux (elle a tenu longtemps, celle-là aussi)

Peur d’y être allergique aussi

Peur que le traitement ne fonctionne pas

Peur d’avoir l’air malade

Peur que mon système immunitaire ne s’effondre

Peur d’attraper tout ce qui passe

Peur des vaccins

Peur du cancer des ovaires

Peur d’une infection urinaire

Peur de devoir prendre des antibiotiques

Peur de voyager (tenace tenace)

Peur de faire de l’arthrite

Peur des carences

Peur d’une fissure, d’une fistule, d’un abcès

Peur de l’acupuncture

Peur de prendre des probiotiques et d’autres suppléments

Peur de manger des légumes et des fruits

Peur de chaque soubresauts de mon ventre… et si les symptômes revenaient… et si… et si…

Autour de mon corps : un réseau

Moi qui me tenais le plus loin possible du milieu hospitalier, des médecins et de leurs interventions, j’ai été plus que servie. Car avec la maladie sont aussi venus : les injections (ouch ouch ouch), la planification des livraisons du médicament, les prises de sang, les vaccins, les liens plus étroits avec les assurances, les conversations avec les médecins, les infirmiers, les pharmaciens. Dans toute cette (més)aventure, il y a donc eu des rencontres, obligées ou non, des rapprochements, des liens tissés, bref, la constitution, autour de moi, d’une véritable communauté.

Le médecin de famille

Celle-là, elle me suit avec plus d’attention désormais. C’est qu’elle se sent un peu coupable d’avoir sous-estimé mes symptômes pendant de longues semaines. En fait, c’est un peu (beaucoup) grâce à elle si mon état s’est dégradé autant (merci merci).

La gastro-entérologue

Celle-là, je ne l’ai pas choisie. Il y a tout de même frigo et frigo et j’aurais préféré sa version plus colosse, côtoyée à quelques reprises lors de mon séjour à l’urgence, mais avec un sens de l’écoute (très légèrement) plus développé.  

L’infirmière en gastro

Tendance au frigo elle aussi, mais nettement plus accessible que sa patronne. Je lui pardonne ses petits travers puisqu’elle a répondu rapidement et sans broncher à mes (nombreux) courriels alarmés, et aux sujets très diversifiés au cours des mois qui ont suivi le diagnostic. Nos échanges se sont espacés. Elle doit avoir compris que je me suis calmée (un peu). Rectification du 19 décembre 2017 : c’est une perle. Ayant expérimenté la présence de sang dans mes selles (il faut bien nommer les choses, que voulez-vous), elle a eu droit à un nouvel appel alarmé. Eh bien, pour la première fois depuis que nous avons fait connaissance, elle a pris tout le temps pour m’expliquer, et dans les détails, la prise en charge des nouvelles crises, me rassurer et m’écouter.

Le personnel de l’urgence

Vous serez surpris, mais je n’ai que de bons mots ici. À part l’un des préposés qui avait l’air d’avoir son voyage (lui aussi), toutes les personnes côtoyées dans cet enfer étaient des anges. Dévouement, dévouement, dévouement. Patience, patience, patience. Une pensée particulière pour l’un des préposés aux plateaux issus de la cuisine qui m’a déniché une assiette laissée pour compte, m’évitant ainsi de mourir de faim aux prises avec mon régime sans résidu (!). J’ai failli l’embrasser et je vous jure qu’il avait les yeux dans l’eau. À une infirmière aussi, qui m’a fait redécouvrir les délices du jello. Moment de grâce. On se contente de peu, dans certaines circonstances.

La répondante de la compagnie pharmaceutique

Hyper professionnelle et efficace. Ils font des sous, chez AbbVie, et ça paraît. Une fois acceptée dans leur programme (ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle), la prise en charge est rapide et peu de questions demeurent sans réponse. La bonne nouvelle : cette perle s’occupe elle-même des discussions délicates avec les assurances, ce qui n’est pas rien quand on revient de loin et qu’on peine à mettre un pied devant l’autre.

La pharmacienne spécialisée

Celle-là aussi, elle a eu droit à certaines de mes questions inquiètes. Toujours aussi très professionnelle, à l’écoute et je dirais même, un brin empathique. Grâce à elle, j’ai appris que la compagnie pharmaceutique qui m’a prise en charge pouvait aussi offrir un support financier pour défrayer les coûts (astronomiques) de leur élixir. Les bonnes nouvelles, je les prends.

Le livreur de la pharmacie

Un vrai viking celui-là. Je l’aime bien finalement. Il me rend visite tous les mois et, croyez-le ou non, ça revient très vite.

L’infirmier vaccinant

Quelle rencontre! Car avec le diagnostic, vient une panoplie de vaccins et plusieurs rendez-vous plus ou moins agréables. Il faut bien se protéger, puisque le système immunitaire a quelques ratées. Et, à mon CLSC, j’ai rencontré cette perle : un homme un peu timide, chaleureux, doux et patient. Je lui fais entièrement confiance (ce qui est rare chez moi) pour s’occuper de mon calendrier de vaccination. Et je vous le dis, ce n’est pas de la tarte.

L’infirmière « prises de sang »

Importante aussi, celle-là, parce qu’au cours de la première année, je l’ai vue tous les deux mois. Heureusement, elle a une bouille souriante et sympathique et œuvre à cinq minutes de chez moi.

Imposant, ce réseau, quand même. Et très professionnel. Même au plus profond de la détresse, j’ai toujours reconnu la chance que j’avais d’être aussi bien entourée, de bénéficier d’une telle équipe soignante, efficace et disponible.

Est-ce que je vous ai dit que ma vie « normale » avait changé un peu, à la suite du diagnostic?

Et le cœur, dans tout ça?

Puisqu’il n’y a pas que le corps qui souffre d’une telle expérience, un autre réseau, celui-là moins étranger à moi et déjà fréquenté, s’est mis en place au fil des mois.

Les auteurs

Quelques nouveaux hommes sont entrés dans ma vie : le beau Guy (Corneau), d’abord, que j’aimais déjà tant, qui par un drôle de hasard, avait reçu le même diagnostic, et m’a tant inspirée à opter pour le meilleur de moi. Christophe (André), le psychiatre adepte de la pleine conscience, qui écrit si bien que j’ai recopié plusieurs de ses phrases dans mon cher iPhone. Son acolyte, Mathieu (Ricard), moine bouddhiste à qui l’on doit plusieurs ouvrages merveilleusement clairs et incitant à l’éveil. Alexandre (Jollien) aussi, si touchant, et qui sait tant nommer aussi, simplement, les plus grandes vérités de la vie.

La psy

Notre première rencontre remonte à 2010. C’est dire que ma psy me connaît bien, et presque sous toutes mes coutures angoissées, depuis plusieurs années. Elle en a vu passer des peurs, des tourments, des souffrances, des hésitations et des décisions difficiles aussi. Elle trouve toujours les mots pour me faire du bien, même si elle me fait aussi pleurer à torrents. Le pire de tous : courageuse. Effondrement.

La coiffeuse

Je la connais peu, très peu, mais je suis à l’aise avec elle. À peine installée, je lui fais un récit rapide de mes déboires et en vient rapidement à ce qui m’amène à la visiter. Ma grande angoisse du moment : est-ce que je perds mes cheveux anormalement ou non? Et si oui, que faire? Elle ne se laisse pas démonter, demeure très relaxe et m’assure que, selon son expérience, et elle en vu d’autres, il n’y a rien d’alarmant chez moi. Soulagement.  Avoir su, je serais venue la consulter avant. Alleluia!

La prof de méditation

Un ange. Une inspiration. Toute en sourire, en profondeur et en humilité, elle a illuminé mes jeudis soir d’hiver. Quelle initiation fantastique à la médiation bouddhiste.

La prof de pilates

Celle-ci, j’ai dû l’apprivoiser, le contact étant moins évident de mon côté au départ. Mais bon, aujourd’hui, presque un an plus tard, je l’aime bien et elle aussi, elle me fait beaucoup de bien.

L’acupuncteure

Ça m’a pris plusieurs mois à avoir le courage de me soumettre au mystère de ses traitements. J’avais peur. Et quand j’y suis arrivée, telle une mendiante, j’étais pendue à ses lèvres, en quête de mots encourageants. Quand ça vient, c’est bon. Ouf. Mais si c’est plutôt « dis-donc, tu as le teint terne » qui m’arrive, là, c’est beaucoup moins drôle et j’ai tout à coup très envie d’être ailleurs. Je viens tout de même ici pour aller mieux. Et me faire saper le moral, ça ne fait pas partie de la thérapie.

La nutritionniste

La nutritionniste, sans même la connaître, je ne lui faisais pas trop confiance. Trop marketing, trop maquillée, trop chère aussi. Elle ne doit pas être bien sérieuse. Mais j’avais besoin de ses conseils. Entre tous les régimes recommandés, qui se contredisent joyeusement, tous les suppléments à prendre ou à ne pas prendre, je ne savais plus où donner de la tête. Eh bien, c’est rare (!), mais je me suis trompée. Une fois la discussion entamée, j’ai découvert une femme professionnelle, à l’écoute et rapide. Je suis ressortie de son bureau la tête remplie de ses recommandations. Qu’elle m’avait aussi heureusement remises par écrit.  

Et tu côté des proches

Ma fille : ma fée

Ma fille, je l’admire. Elle a tout de suite su trouver les mots et les activités pour m’accompagner à sa façon. Pendant ma convalescence, ses visites du mercredi, où elle nous préparait à déjeuner et menait des activités beauté à domicile, ont été plus que précieuses. C’est elle qui a dompté mon impatience à reprendre ma vie d’avant en quelques mots bien simples : « profite donc du temps que tu as enfin pour faire des choses que tu aimes. Ta vie d’avant, tu la retrouveras bien assez vite. » Elle avait raison, et à partir de ce jour-là, j’ai suivi son conseil à la lettre.

Mon fils et son désarroi

Pour mon fils, si sensible et si proche de moi, tout ça a été plus pénible. C’est lui qui était présent avec moi, au pire de la maladie, avant l’hospitalisation, quand j’aurais voulu mourir. Bien qu’il ne le réalise pas lui-même, ça laisse des traces, ces moments-là.

Mon amoureux, l’homme de la situation

Dès la débandade et malgré le fait que nous ne nous connaissions pratiquement pas, l’Amoureux a su être l’homme de la situation. Il faut dire qu’il en avait vu d’autres, contrairement à moi, côté maladie. La saloperie et ses effets, pourtant dévastateurs sur moi, n’ont pas eu l’air de tant l’impressionner. Je lui serai toujours reconnaissante d’avoir continué à me faire sentir femme, belle même, au plus profond de la détresse. Il ne m’a jamais fait sentir comme une petite chose désormais fragile. Son aplomb d’homme ayant les pieds sur terre m’a fait le plus grand bien. Et aujourd’hui, plus d’un an plus tard, il est toujours là, plus présent que jamais, malgré le fait qu’il ait dû, lui aussi, vivre tout ce temps avec les montagnes russes de mes humeurs. Merci la vie.

Mon ex…

Il n’y a rien à dire ici sinon que l’Ex n’a pas aidé et à continuer à m’emmerder au fil des mois qui ont suivi le diagnostic. Il faut dire, à sa décharge que notre séparation douloureuse était récente et qu’il n’a pas saisi, je crois, l’ampleur de mon désarroi.

Ma mère, l’absente

Ma mère, je l’ai tenue à l’écart de ce qui m’arrivait le plus longtemps possible. Ma sœur nous servait d’intermédiaire. C’est qu’elle ne l’a pas vraiment, comme on dit, ni en fait d’empathie, ni de simple écoute d’ailleurs. Au début de mon convalescence, ma sœur m’a amenée chez elle. J’ai pu mesurer à quel point j’avais bien fait.

Ma sœur, celle qui est venue à ma rescousse

Je peux dire que ma sœur a été l’une des témoins privilégiés de mon grand désarroi. J’ai pleuré, pleuré et pleuré encore, au téléphone avec elle. Une fois l’Amoureux retourné auprès des siens après ma sortie de l’hôpital, c’est elle qui a pris la relève pour s’occuper de moi et me cuisiner des plats adaptés à ma nouvelle condition.

Mon cousin, mon alter ego masculin

Diagnostiqué lui aussi peu de temps avant moi, mon cher cousin, que j’aimais déjà beaucoup, est devenu mon confident en période de questionnements et de grande hésitation. Jamais je n’aurais pensé devenir aussi intime avec lui, mais que voulez-vous, il faut bien appeler un chat un chat. Et nous, la saloperie, elle s’est nichée dans notre colon et elle a des répercussions indésirables diverses et tout de même assez intimes. Donc, côté santé, on peut dire que nous n’avons plus vraiment de secrets l’un pour l’autre.

La rédemption

Cette grande rupture, cette fêlure, a bouleversé toute ma vie. À tort ou à raison. C’est sous son éclairage que je poursuis ma route. Bien sûr, il n’y a pas que du négatif, mais je peux vous le dire : je m’en passerais.

Grâce à cette épreuve, les apprentissages que j’avais déjà entrepris se sont encore enrichis :

Ralentir

Respirer

Contempler

Me choisir

Me donner la permission d’être heureuse

M’écouter

Prendre soin de moi : mieux m’alimenter, faire de l’exercice

Dire ce que je veux et ne veux pas

Me donner une place

Me respecter

M’abandonner à l’amour

Accepter l’aide des autres

Cultiver la bienveillance, la compassion et l’empathie

Apprécier la nature et les petits plaisirs de la vie

Méditer et aspirer au calme mental

Vivre en pleine conscience

Vivre à fond le plus souvent possible

Développer la gratitude

Renouer avec des amis et mieux entretenir mes relations

Resserrer mes liens familiaux